30 novembre 2010

Un petit corps ne va pas de pair avec une grande chasse !

Je dessine un caractère typographique pour des sous-titres de film. De ce fait, je rencontre de nombreuses contraintes : c'est un caractère de petit corps (pour ne pas encombrer l'image), il apparaîtra dans un temps court (seulement quelques secondes) et sera perturbé par les images mouvantes en arrière-plan.
Je comptais donc partir sur un corps assez robuste, avec peu de pleins et déliés, un dessin ouvert, une grande hauteur d'x, un interlettrage important et du coup qui dit petit caractère dit une chasse plutôt large. Mais voilà que je découvre (en tant que novice), que finalement deux possibilités s'offrent à moi pour dessiner un petit corps : soit un corps petit et une large chasse, soit un corps un peu plus grand mais plus étroit. Du coup je penche désormais pour la deuxième possibilité, qui est d'ailleurs conseillée pour les courtes justifications (ce qui est le cas pour les sous-titres). Cette situation est aussi valable pour les annuaires téléphoniques, avec par exemple le Bell Centennial ou le Bell Gothic.
Je suis dans la première phase de recherche et ouverte aux avis et conseils !!

S.



  Jost Hochuli, Le détail en typographie, Éditions B42, 2010, p.34




Comparaison du Linotype Univers Condensed Medium et Basic Medium. 
Le texte en étroit est composé sur 8 lignes en 7 pt, en Basic sur 9 lignes en 6 pt. 


Minuscule, Revue Suisse de l'imprimerie, 
éd. par le syndicat des médias comedia pour l'éducation professionnel, 2004.

24 novembre 2010

Les 19 commandements




Un lien que je trouve super : typeworkshop.
C'est une série de croquis d'Underware qui expliquent les fondamentaux de la typographie. Ça a l'air assez basique à première vue, mais je trouve qu'il y a un certains nombres d'informations clés et incontournables pour débuter et comprendre le dessin de caractères.
Enjoy !

M.

9 novembre 2010

Approche des Pixaçaos



Interview de François Chastanet qui nous fait part de son analyse des écritures urbaines présentes à Sao Polo : Les pixaçoas. (Pour une lecture plus imagée, il est possible de consulter ses ouvrages.)

Ce n'est pas un hasard s'y l'on retrouve cette interview sur le blog de Jérémie Baboukhian qui a effectué le même parcours, passant de l'architecture à la typographie.
J'en profite donc pour mentionner son blog : 4raw, sur lequel on peut suivre l'actualité autour du livre et de l'image, mais aussi découvrir quelques pépites qui font voyager. Je renvoie également à son site (en étroite collaboration avec Michèle Wang) où l'on retrouve un travail graphique et typographique pointu. (Ce qui fait plaisir !)

Jérémie Baboukhian participe à l'organisation des conférences données à Paris 8 : mrcrdsgn. Heureux les parisiens qui peuvent s'y rendre ! 

S.

3 novembre 2010

Entre tradition et innovation (suite)

C’est une vaste question que soulève S.. Même si tu as raison en disant que les formes typographiques ont évolué depuis l’invention de Gutenberg, je pense pour autant que leur structure n’a pas foncièrement changé. C’est assez fou de se dire que Nicolas Jenson et les autres typographes de l’époque ont mis au point des formes qui sont toujours viables aujourd’hui. On peut facilement utiliser l’Adobe Jenson pour composer un texte actuel (même s’il est vrai que cela donnera une couleur particulière) tandis qu’il semble difficile de construire aujourd’hui un édifice style Renaissance sans se faire taxer de passéiste ou de nostalgique… Bref, tout ça pour dire que la structure des signes a finalement peu bougé. On se base toujours sur les proportions de la capitale romaine (colonne trajane) et l’italique n’a que peu dérivé de l’écriture de chancellerie et des premiers poinçons de Francesco Griffo.

Il y a un schéma intéressant d'Adrian Frutiger dans lequel il superpose des a issus des grandes familles de la classification Vox, afin de faire apparaître une silhouette commune (1). Gerard Unger parle beaucoup de cette structure récurrente dans son très bon ouvrage, While you’re reading (2). Il parle des matrices qui se sont peu à peu gravées dans nos esprits au fil de l’histoire. Ainsi, nous avons dans notre mémoire visuelle des squelettes qui correspondent à chacune des lettres de l’alphabet et qui nous permettent de mieux les reconnaître lors du processus de lecture.
Cependant, il ne faut pas oublier que l’œil ne lit pas les lettres une à une mais les mots entiers. Comme l’explique Émile Javal (3), notre œil lit en faisant des saccades (= saut entre deux fixations) et des fixations (durant lesquelles il lit environ dix signes). Ainsi, l’œil capte la silhouette des mots et non pas les lettres une à une. Cette réflexion illustre tout l’intérêt du schéma d’Hochuli que tu as mis et qui montre que les contours des lettres du Futura sont trop proches pour être bien différenciés. L’œil lira donc les formes du Futura moins facilement.

Je suis donc d’accord avec toi quand tu te dis qu’il y a très peu de marge de manœuvre pour le dessinateur de caractères de labeur. C’est pour ça qu’Unger différencie deux types de pratiques : la typographie de labeur (destinée à la lecture continue, dans des corps de texte) et la typographie davantage destinée au titrage, aux affiches, etc. Même s’il s’agit du même art (celui de dessiner des alphabets), je pense moi aussi que ce sont deux pratiques à dissocier.
Les caractères de labeur nécessitent un certain nombre de caractéristiques difficilement occultables : il n’est pas possible de nier la tradition (les garaldes et les humanes sont toujours utilisées pour la composition des ouvrages, ce n’est pas un hasard), il y’a forcément des impératifs comme la lisibilité et le confort de lecture qui entrent en compte et qui induisent diverses règles élémentaires : respect de la chasse de chaque signe, dessin reconnaissable des lettres, homogénéité de l’ensemble, etc. N’oublions pas que la typographie est un art appliqué qui implique le respect de contraintes, l’adaptabilité à des besoins et à un support. Le créateur n’est pas libre de faire tout ce qui lui passe par la tête, il doit garder à l’esprit qu’à la fin son caractère doit être fonctionnel.
Quand à la typographie « display », elle est totalement dégagée de ces contraintes. C’est seulement pour ce type de caractères qu’il est possible de véritablement innover, de faire table rase du passé et de proposer des choses inédites. C’est notamment dans ce domaine que les graphistes ont la possibilité d’intervenir (Fanette Mellier, M/M, atelier ter Bekke/Behage, Non-Format, etc.). Il me semble donc important de bien différencier les deux pratiques.

Les caractères de labeur doivent donc se faire discrets lorsqu’ils sont composés. Leur principal but est de servir le texte. Pour illustrer cela il y a un très bon article de Beatrice Warde qui a été publié pour la première fois dans The Fleuron (la revue qui était dirigée par Stanley Morison) : The crystal goblet (4). Pour expliquer ce que doit être un caractère de labeur, elle s’appuie sur une métaphore très simple. Elle compare une page de texte à un verre en cristal rempli de vin. La typographie utilisée doit être aussi claire et limpide qu’un verre de cristal. Le caractère de labeur, à l’instard du cristal, révèle et met en avant le contenu sans détour. « The crystal goblet or printing should be invisible ».
Je trouve que cet exemple résume tout à lui tout seul. Selon moi, la typographie de labeur est un terrain de jeu dans lequel on peut encore innover, mais par petites touches (même s’il ne faut pas oublier que les Allemands sont passés du gothique au romain en l’espace d’un siècle !). Pour les sceptiques qui pensent que tout a été fait en typographie, il suffit de regarder les réalisations de designers comme Gerard Unger ou Peter Bil’ak pour voir qu’il est encore possible de proposer des caractères de labeur inédits. Il suffit juste de prendre en compte les habitudes des lecteurs et les siècles de tradition qui peu à peu gravés dans nos mémoires la matrice de chaque lettre. Pour conclure, une citation de Zuzana Licko : « readers read best what they read most ».

M.


(1) Adrian Frutiger, À bâtons rompus. Atelier Perrousseaux, 2001.
(2) Gerard Unger, While you're reading. Mark Batty Publisher, 2005.
(3) Émile Javal, Physiologie de la lecture et de l'écriture. Cepl, 1978.
(4) Beatrice Warde, « The crystal goblet », in Sixteen essays on typography, 1932.


Italique de Francesco Griffo (1547). Photo © N.

 

Schéma d'Adrian Frutiger montrant la structure commune des lettres (ici le a)

1 novembre 2010

Entre tradition et innovation

 Je suis en train dessiner ma première typographie de labeur et je me demande: comment est-ce possible d’expérimenter, d’innover  tout en restant lisible ? 

« [...]  savoir lire, c’est neutraliser inconsciemment la variation typographique des tokens (1) de façons à décoder sans efforts les types qui se cachent derrière toutes les façons d’imprimer l’alphabet. » (2)
Si notre regard est habitué par éducation au squelette (3) de la lettre existante depuis des siècles, comment faire pour s’en éloigner et s’approprier un dessin de caractère ? (ce qui renvoi à l’article précédent de M. concernant l’homogénéité des typographies produites à Reading (dont je ne remets pas en question la qualité, mais la diversité).

Une typographie réussie doit être lisible et pour cela invisible (4). En effet, le dessin de caractère ne doit pas être vu, mais lu. Une bonne typographie doit permettre à son lecteur de l’ignorer afin qu’il se concentre essentiellement sur le contenu du texte.
Prenons par exemple le livre Typefaces as program (5), la typographie du texte courant (dessiné par David Keshavjee et Julien Tavelli si mes souvenirs sont bons) confirme cette règle. À la lecture de ce très bon ouvrage (justement constitué de recherches et d’expérimentations typographiques),  j’ai été dérangé par le dessin du e particulièrement (6). En effet, cette lettre est dessinée de manière assez sèche, un axe vertical termine sa forme, amenant ainsi une rupture par rapport à l’espace ou à la lettre suivante.
Remontons encore plus loin, avec le Futura qui a traversé des décennies. Il arrive que cette typographie soit employée pour du texte courant. Pourtant, il me semble qu’il ne soit pas le plus aisé à lire. En tant que sans-sérif géométrique, il est difficile à lire (de façon fluide) car les lettres sont peu distinctes les unes des autres (7). Notre regard doit davantage placer la lettre au sein du mot qu’elle compose pour parvenir à lire. Ainsi la lecture n’est pas la plus optimale possible. Mais cela amène à un autre débat, celui entre les sérifs et les non-sérifs, dont je ne traiterai pas cette fois-ci.
Je veux dire par là, que Paul Renner tout comme nombreux de ses confrères, avait le désir de pousser les limites de la lecture en s’éloignant du squelette traditionnel de la lettre, que nous connaissons. Il a cherché de nouvelles formes. Faut-il ainsi expérimenter et amener du nouveau, quitte à brusquer le lecteur ?

Je me souviens lorsque Dimitri Bruni & Manuel Krebs (Norm) ont sorti le Replica, il y a exactement deux ans, ils ont été accusé de refaire un nouvel Helvetica (alors que ce dernier est fortement inspiré de l’Akzidenz Grotesk, je rejoins Martin Majoor sur ce point :) Ainsi je m'interroge tout haut : n’est-ce pas un leurre de croire que l’on peut innover et concevoir du neuf  en s’éloignant fortement des dessins dit plus traditionnels ?

Si je devais aujourd’hui en tirer une conclusion, je répondrai oui , que le dessin de labeur évolue doucement mais sûrement, comme nous pouvons le constater face à sa progression au cours de ces derniers siècles. Ce n’est pas pour rien si des typographies tel que le Baskerville sont appelées transitionnelles. La typographie se transforme peu à peu, confrontée à des changements techniques et face à de nouveaux modes de lecture. J’aime penser que la typographie de labeur participe à l’éloge de la lenteur. Mais je suis peut-être, tout simplement, trop conservatrice...
Alors pour réconcilier ceux qui ne seraient pas de mon avis, je finirai sur une phrase réconfortante de Melville : « Mieux vaut échouer dans l’originalité que réussir dans l’imitation. »

S.



(1) voir tableau ci-dessous
(2) provenant de l’article de Marc Arabyan, Le choix typographique, dans La typographie du livre français, sous la direction d’Olivier Bessard-Banquy et Christophe Kechroud-Gibassier, Les cahiers du livre, Presses universitaires de Bordeaux, 2008, p.211

(3) Adrian Frutiger, Histoire des Antiques, série d’articles parue dans la Revue suisse de l’imprimerie et reprise en tirage à part à l’enseigne de l’École romande des arts graphiques, Lausanne, et société linotype France, 1989.

(4) Jean-François Porchez, La typographie, c’est l’invisible, dans La typographie du livre français, sous la direction d’Olivier Bessard-Banquy et Christophe Kechroud-Gibassier, Les cahiers du livre, Presses universitaires de Bordeaux, 2008, p.85

(5) François Rappo, Typefaces as program, JRP Ringier, 2010. (malheureusement épuisé)
(6) voir l’image ci-dessous.

(7) Jost Hochuli, Le détail en typographie, Édition B42, 2010, p.17.



 (1)
provenant de l’article de Marc Arabyan, Le choix typographique, dans La typographie du livre français, sous la direction d’Olivier Bessard-Banquy et Christophe Kechroud-Gibassier, Les cahiers du livre, Presses universitaires de Bordeaux, 2008, p.210



 (6)
 François Rappo, Typefaces as program, JRP Ringier, 2010. 



 (7)
Jost Hochuli, Le détail en typographie, Édition B42, 2010, p.17.